Une journée peu ordinaire…

Mercredi 17 septembre 2014 – 6h du matin, aucun problème pour sortir du lit! La matinée s’annonce plutôt bien, un swell de 1m, 1m50 de prévu, pas de vent, marée montante, et ma copine Manu qui est là pour prendre des photos. Toutes les conditions sont bien réunies pour passer un bon début de journée et profiter d’un lever de soleil calés dans l’eau, avant d’aller travailler. Il ne faut pas tarder car on commence le travail à 9h et pas question d’arriver en retard.

Un réveil matinal

On enfile le board short, un tee-shirt, on oublie pas les changes pour le taff’ et le petit-déj’ pour l’après session, c’est toujours agréable quand on sort de l’eau, pour bien commencer la journée (c’est un peu comme le Ricoré). Avant de partir on n’oublie pas de vérifier qu’il y a bien les planches de surf, le leash et la wax ( ça serait dommage de se lever aussitôt et rater une session pour rien).

On se bouge un peu car on est des  »surfeurs écolos », alors covoiturage oblige, on récupére Romain, un pote du travail et de confiance, sur qui on peut compter pour se lever à l’aube, et surfer quelques vagues. Direction Parlementia! C’est plus sympathique de partager ensemble ces moments uniques, de privilégiés, surtout quand on pense à tous nos potes qui sont en stage à Paris, qui se lèvent à la même heure, pour faire une heure et demi de transport en commun, stressés, dans une atmosphère polluée et le tout pour un salaire de misère…

Sur l’autoroute on se questionne:  » est-ce que les vagues seront aussi bonnes que les prévisions? »,  » y aura t’il beaucoup de monde à l’eau », et on se chauffe aussi à bloc:  » ça va être la gavade, glassy »,  » avec la nouvelle planche, ça va envoyer sa mémé, roller, bottom, floatter…! » Pour aller sur le spot à cette heure-ci, on roule une vingtaine de minutes, et malgré que l’on soit sur l’autoroute, on profite du paysage: des étendues de verdure à perte de vue, entre océan et montagnes, des vaches, des chèvres… Les Basques on su préserver leurs terres, ça change de ma Côte d’Azur toute bétonnée…

Surf aux aurores

Revenons à nos moutons! On arrive sur le spot, il ne fait pas encore jour, mais plus tout à fait nuit, les premières lueurs du jour pointent leur bout du nez, devant nous se dévoilent de belles lignes qui déroulent, ça ne paraît pas très gros, une matinée parfaite qui s’annonce, pour des surfeurs de niveau intermédiaire comme nous! Ce matin il fait encore un peu frisquet, on enfile alors les combis, wax les planches, et on descend jusqu’à la plage en courant.

M****, saperlipopette, mille milliards de mille sabords ! Il y a encore plus affamés que nous! Une dizaine de surfers sont déjà postés au pic, prêts à s’élancer sur les premières « bombes » qui passeront. Comparer au beachbreaks Landais, la mise à l’eau et l’accès au pic est  »easy, fingers in the nose », les vagues semblent plus grosses une fois dans l’eau, que lorsque nous étions en haut de la falaise. On croise deux, trois collègues de travail, et beaucoup de longboarders, ils nous mettent quasiment tous à l’amande, mais on arrive quand même à partir avec nos petite planches sur les vagues les plus creuses.

On rame un petit peu plus fort que les autres pour partir sur la vague, mais une fois élancé, c’est le paradis, la planche est super maniable, accélère malgré son petit volume, et procure des sensations uniques. Comme d’habitude cet instant dure trop peu de temps, mais c’est pas grave, une fois tombé dans l’eau, on remonte sur la planche, retourne au pic, pour recommencer encore et encore! Des heures de rame, de galère, parfois boire la tasse ou se faire peur, pour quelques secondes de plaisir… C’est ça le surf! Et on aime ça!

La session est passée super vite comme d’habitude, il est déjà 8h30, l’heure pour nous de quitter le terrain de jeu et laisser la place aux dernier touristes de la saison ou les locaux de repos. On a juste le temps de remonter jusqu’au parking, retirer les combinaisons, ranger les planches et sauter dans la voiture pour commencer la journée de travail. C’est ça la vie au Pays Basque!

Après le réconfort … l’effort

9h05, on vient rejoindre le rythme de nos amis parisiens, l’ordi allumé sur nos bureaux, en open space, face à mon boss, ma collègue également community manager en stage, ainsi que toute l’équipe com’. L’ambiance de travail est vraiment cool malgré une charge de travail conséquente et comme dans toutes les entreprises il faut être productif, avec moins. Ici la quasi-totalité des collaborateurs sont des passionnés de sports d’eau en particulier de surf, il n’est donc pas rare de croiser des collègues avec les cheveux encore humides. On échange alors brièvement sur les conditions de la matinée, savoir si  »l’herbe était encore plus verte ailleurs », si la pause-déjeuner va être écourtée par une autre session de surf et on se met rapidement au travail.

Consultation des Mails, réponses sur les réseaux sociaux, modération du blog, création de contenus, diffusion des newsletters… Comme en surf, les heures passent rapidement on a pas le temps de s’ennuyer, il y a toujours de nouvelles choses à faire, de nouveaux objectifs à atteindre. C’est quand même beaucoup plus sympa de travailler dans un univers qui nous passionne, on se sent plus impliqué et motivé pour travailler plus.

En fin de matinée lorsque le ventre commence à gargouiller, entre deux réponses de mails, on check rapidement les webcams, savoir comment ont évolués les conditions, si c’est plus petit, plus gros que ce matin, et si c’est encore surfable aux 2 Jumeaux, le spot qui se trouve à seulement 5 minutes du travail. La marée semble un peu haute, mais il semblerait qu’il y ait encore quelques petites séries à choper. Ni une ni deux, on finit rapidement la tâche du matin, on ferme le poste de travail, et on court jusque dans la voiture pour rejoindre le spot.

Pause déjeuner: surf !

Malgré que l’été soit fini, les beaux jours sont encore là, l’été indien, il reste encore beaucoup de monde sur Hendaye, et toutes les places sont déjà prises. C’est vraiment relou de perdre du temps sur ce genre de détails, mais comme on dit c’est la vie! Pour gagner quelques secondes de surf, j’enfile simplement un boardshort, un top néoprėne, suivit d’un un petit footing d’échauffement sur la plage, et d’une séance de nage pour rejoindre le pic. Quelle classe! Pour le moment il n’y a encore personne dans l’eau, j’enchaîne une ou deux vagues tout seul, un petit mètre sympa, assez longues, un bon ride en longboard! Sept ou huit mecs de Tribord me rejoignent, on prend les vagues à tour de rôle, on se taxe un peu mais avec bonne humeur. Ce type de sortie à lieu régulièrement, permettant de tester les produits de la marque et souder les équipes entre elles autour d’une même passion. Dure la vie, c’est ça que de travailler chez Tribord! Ce spot est vraiment cool car il n’y a pas grand monde, seuls les locaux le connaissent. Ici on profite d’un paysage exceptionnel en même temps que l’on surfe, les deux gros cailloux les jumeaux, la falaise (dans laquelle on peut parfois se faire peur), la plage, et au loin la Rhune avec ses plaines de verdure.

Seconde session de la journée, une fois de plus il va falloir faire vite! Prendre une dernière vague qui nous emmènera le plus proche possible de la plage, sur celle-ci il ne faut pas tomber, se recoucher sur la planche si nécessaire pour garder l’inertie et la vitesse. Si la chance nous sourit, et que la vague creuse à nouveau, on peut se remettre debout un petit peu plus loin. Aujourd’hui ce n’est pas mon jour de chance il va falloir rentrer à la nage et courir pour regagner la voiture. La même que ce matin, on se change à nouveau direction le Xocoa (restaurant d’entreprise) pour prendre un bon gros sandwich bien mérité, et se remettre immédiatement au boulot (ce n’est pas tellement autorisé de manger dans le bureau mais comme beaucoup le font, je me l’accorde – un rebelle de la société ).

Retour au boulot

On reprend les tâches commencées le matin, les avancer, modifier, recommencer, échanger avec les collaborateurs, comme chaque jour en entreprise. À la différence de nos collègues en stage à Paris, on utilise le chat de l’entreprise pour dialoguer entre les collaborateurs plus rapidement, mais aussi pour connaître les potentiels prétendants d’une troisième session de surf en fin de journée. Il est très important, de souder les équipes pour bosser efficacement autour d’un  »surf after work », ou dans mon jargon un  »Grand Chelem ». Avoir la possibilité de surfer le matin, le midi et le soir est un événement quasi impossible, car les conditions météo sont rarement adaptées aux horaires de travail… Aujourd’hui, il semblerait que beaucoup de personnes vont se motiver pour sortir le longboard, prendre quelques vagues et passer un bon moment ensemble, rien de tel pour conclure une journée de travail.

18h 30 – 19h, malgré une petite fatigue à cause de ce réveil matinal et d’une bonne journée de travail, on se tâte avec Romain et Gregoire à retourner sur Parlementia ou Guethary (les culs nus, notre spot passion depuis le début du stage). On fait quoi ? On y va ? Ou pas ? Y aller c’est le risque de perdre énormément de temps dans les bouchons, surtout à cette heure-ci, mais d’avoir de belles séries une fois là-bas. Ou bien on reste ici -Hendaye- aux deux jumeaux ou face au casino? Comme dit le dicton: c’est celui qui en parle le plus, qui en fait le moins! Alors pas de chichi! On décolle, on passe dans tous les cas devant la plage d’Hendaye pour rejoindre l’autoroute et on verra sur place.

After work: surf of course !

Au moment même où l’on arrive devant l’Obélisque, entre le casino et les deux jumeaux, déroule une série parfaite. 3 ou 4 vagues consécutives d’un bon petit mètre, creuses et presque tubulaires. Des collègues de bureau sont déjà là, sortis de leur voiture, se posant l’eternelle question: « ici ou ailleurs ? ». Vu la série que l’on vient de voir, je crois que par feignantisme et simplicité, tout le monde a déjà la réponse: Hendaye Beach! J’envoie un texto à Manue et Romain pour les prévenir où l’on se met à l’eau et c’est parti pour la dernière session de la journée.

Malgré que ce soit un spot de repli et que les vagues sont souvent molles, j’opte pour le fish 6’0, une planche qui demande plus d’effort sur ce type de vagues mais qui est beaucoup plus maniable qu’un longboard ou une mousse. À l’eau, on est une dizaine ou quinzaine de Tribordais, tous les niveaux sont réunis, en revanche les séries sont moins fréquentes et moins grosses, comparé à ce qu’on a pu voir en arrivant. J’arrive quand même à prendre une vague avec la petite planche, elle doit faire cinquante ou soixante centimètres, en pompant la vitesse augmente progressivement, je passe devant quelques surfers, arrive à la tenir quelques secondes: c’est vraiment une chouette sensation. Une fois revenu au pic, je constate que Romain est arrivé avec sa petite planche, mais les vagues ne sont pas au rendez-vous. On regrette amèrement de ne pas avoir fait quelques kilomètres de plus, quitte à attendre un petit peu dans les bouchons pour profiter de ce swell, sûrement bien meilleur ailleurs. On a les « boules », se demande même si on ne va pas retourner aux deux jumeaux malgré que la marée soit beaucoup trop haute. Finalement on décide avec Romain de se décaler, de se rapprocher du bord de la plage et profiter du shorebreak souvent plus puissant.

Nous voilà donc tous les deux, décalés du reste du groupe, avec quelques autres surfeurs, deux, trois, peut-être quatre que l’on ne connaît pas. Romain, tout comme moi est en mode bouchon, on attend LA série, celle qui nous fera partir sur la vague, un peu creuse et nous permettra de prendre quelques sensations. Il est à environ 50 mètres de moi, peut-être plus, peut etre moins, malgré que l’on surf à plusieurs, chacun se focalise sur le pic, se place en fonction de la vague qui va arriver, et on se retrouve finalement seul.

Ma dernière vague – la noyade

Je vois une onde qui se déplace au large, elle est un petit peu plus grosse que les autres mais rien de bien fou, je me déplace pour rejoindre le pic, et être au bon endroit lorsque la vague déroulera. Elle se rapproche, je commence à ramer pour avoir la même vitesse qu’elle, et me lance pour faire le take off! À cet instant, je ne me souviens pas être tombė directement ou m’être mis debout et chuté ensuite. Une chose est sûre, je suis tombé en arrière, j’ai tapé la tête sur le sable, un gros CRACK retentissant dans tout le corps, j’essaie de bouger les bras, de pousser sur mes jambes, pour remonter à la surface comme je le fais habituellement, mais là rien ne se passe, mon corps ne me répond plus!

Putain! Que se passe-t-il bordel? Je suis conscient, mais mon corps ne répond pas aux sollicitations de mon cerveau, je ne peux absolument rien bouger, j’ai la tête dans l’eau et je ne peux plus respirer! Je ne me souviens pas souffrir de ma nuque, ma seule préoccupation à cet instant, est de respirer, de vivre! Seul mon cou bouge encore, il me permet d’essayer tant bien que mal de trouver quelque bouffées d’oxygène, avec les vagues mon corps se retourne, j’avale un petit peu d’air avec beaucoup d’eau, il se retourne encore et encore! Je me retrouve toujours la tête dans l’eau, mes mouvements de cou ne servent à rien, il ne m’est pas difficile de comprendre que je suis en train de me noyer, de mourir, et le pire c’est que je ne peux rien faire, absolument rien. Je continue de lutter, je ne sais pas comment m’en sortir, j’espère qu’une vague va encore me retourner pour retarder cet instant fatidique. L’eau est bleue grise, elle est trouble, je me dis que ça serait vraiment con de mourir dans cet élément qui m’a tant fasciné, que j’ai appris à aimer, qui m’a procuré tant de sensations, de joie et de bonheur, depuis que je suis tout petit. Les secondes semblent des heures, je pense à ma famille, ma copine, les gens que j’aime, c’est grâce à eux que je repousse l’instant où mes poumons se rempliront d’eau pensant que c’est de l’air, c’est moi seul qui décide de ce moment. Je ne lâche pas encore je n’ai pas envie de mourir, je veux vivre! J’avais appris dans ma formation de secourisme, qu’il fallait avaler de petites gorgées d’eau pour récupérer l’oxygène inclus. Je ne sais pas si ça sert à quelque chose mais je tente quand même. Je suis seul, personne ne m’aide, malgré des centaines de surfeurs tout au long de la plage, je flotte encore et continue de chercher la moindre bouffée d’oxygène. La mort se rapproche petit à petit, et n’est plus très loin…

Sauvé des eaux

Il y a cet instant magique, celui où je sent des mains se poser sur mes épaules, je n’ai qu’une seule hâte à ce moment précis, c’est qu’il me retourne et vite, je n’en peux plus il faut absolument que je respire! Chose qu’il fait, bien sûr, Je suis sauvé! Les mains de ce sauveteur, ne sont autres que celles de Romain, celui qui m’a accompagné ce matin même pour surfer à l’aube. Il me ramène tant bien que mal sur le bord de la plage, ce ne doit pas etre facile de nager avec un corps immobile de 70 kg, sans compter les planches qui sont encore accrochés aux pieds, les vagues qui se cassent sur nous et le courant qui nous dévie de la trajectoire.

Et puis, il y a ces autres moments où tout s’accélère, je ne m’en souviens plus très bien: ces crétins de churos qui s’attroupent autour de moi, comme si j’étais l’attraction touristique de la journée (aucun de ceux là n’a appelé les secours). La marée qui monte et la peur de me retrouver une fois de plus immergé sous l’eau, sachant qu’il n’est pas évident de transporter un corps qui a subi un traumatisme cervical. La construction d’une muraille avec des planches de surf, permettant de retenir l’eau, et l’aide de tous les Tribordais présents ce jour là, ainsi que d’autres inconnus. Avec les embouteillages je me rappelle que les pompiers ont galéré à venir jusqu’à nous, mais ils sont là au-dessus de moi, m’accrochent une minerve, je vois ensuite Manue, elle pleure…plus rien… J’ouvre les yeux à nouveau, je suis dans un hôpital (probablement), c’est très bleu vert, mais obscur, il doit probablement faire nuit dehors, j’ai mes parents au téléphone, il y à Manue, Grégoire et Romain… Je m’endors…

Je ne sais pas combien d’heures, de jours, ou de semaines se sont passées, mais lorsque j’ouvre enfin les yeux, je suis dans une pièce toute blanche, un hôpital sans doute. J’essaye de bouger mon corps, de parler, mais absolument rien ne se passe.

Je suis Tétraplégique.