Mes premiers jours de tétraplégique

Dans l’épisode précédent, je vous racontais comment devenir tétraplégique à la suite d’un simple accident de surf. Dans une eau peu profonde,sautez de votre planche à la fin d’une vague en essayant de faire un backflip, tombez la tête la première sur du sable, craquez vous une cervicale en 10 morceaux, et le tour est joué! Si vous voulez changer radicalement de vie, ce n’est pas plus compliqué que cela!

Le réveil

Lorsque je me suis réveillé dans mon lit d’hôpital à Bayonne, ma famille était déjà présente, autour de moi, ils avaient traversé la France pour soutenir et découvrir le nouveau Jean-Christophe. Celui sur lequel les médecins urgentistes n’auraient pas misés un centime sur le fait que je sois encore vivant ou que j’ai toute ma tête. Mais je suis encore là, conscient, ou du moins à peu près, car les sédatifs me donnent l’impression de vivre un cauchemar éveillé. Des tuyaux me sortent de la bouche, je suis nourris et hydraté par des poches nutritives accrochées au dessus de ma tête, je tente de communiquer mais aucun son ne sort, j’essaye de bouger mais c’est la même, je suis immobile, seules mes épaules répondent à quelques une de mes sollicitations. Je découvre ma nouvelle vie de tétraplégique, malgré les médicaments qui m’assomment et m’empêchent de comprendre l’ampleur des dégâts réels. Mon corps est maintenu en vie par une dizaine de machines qui m’injectent en continu et par perfusion toutes sortes de médicaments. Devant moi se trouvent 2 écrans, permettant de suivre en continu, mon état de santé, il y a des courbes de toutes les couleurs, ça clignote, ça sonne, et ça fait peur! Mais avec les jours qui passent on comprend rapidement à quoi chaque graphique, bruit…correspondent. L’un indique le pouls, la fréquence cardiaque, le taux d’oxygène dans le sang… et on s’en amuse même à modifier la courbe de respiration, en inspirant et expirant de différentes façons ( il faut bien faire passer le temps). Mais en fait qu’est-ce que je fous ici? On m’explique que je suis en réanimation, c’est-à-dire en salle de réveil, où se reposent les patients après une lourde opération. Apparemment , je suis passé à deux doigts du game over total, le chirurgien m’a opéré en urgence dans la nuit des cervicales C4 C5, qu’il a ressoudés ensemble a l’aide de plaques et vis. Humm, moi qui n’avais encore jamais subi de lourde opération, c’est jackpot! Je fais maintenant parti du club des voyageurs qui sonnent à l’aéroport, à cause des métaux dans le corps. En mode Tranformers, cool!

 

La communication

Imaginez-vous un instant cloué dans un lit, immobile, sans pouvoir manger, ni boire seul, et en plus incapable de communiquer. Et bien je peux vous garantir que c’est une vraie galère, et que l’on a hâte que les minutes s’écoulent vite pour raconter le calvaire que l’on subit. Qu’est-ce que j’avais envie de parler, raconter à mon entourage, ma famille, ma copine et mes amis, tout ce qui venait de m’arriver. Heureusement, d’autres personnes ont été dans ma situation bien avant moi et ont créé des outils permettant de communiquer par des mouvements de tête ou des clignements d’oeil. Avec les nouvelles technologies  en particulier la tablette tactile, on a téléchargé une application, qui présentait l’alphabet selon les consonnes, les voyelles, ou par un système de couleur. Une personne me montrait du doigt les lettres une par une, par un mouvement de tête je validais, et il fallait répéter ce procédé jusqu’à obtenir le mot souhaité. Savez-vous que les marques doivent communiquer sur Twitter avec seulement 142 caractères? Et bien pour moi c’était encore plus court. Autant dire qu’il fallait bien réfléchir à ce que l’on voulait dire, et que ça pouvait prendre un certain temps avant de faire une seule phrase. C’était épuisant de communiquer ainsi, parfois je m’énervais intérieurement parce que j’avais du mal à me faire comprendre ou parce qu’ils me montraient les mauvaises lettres. Bon nombre de fois j’ai préféré garder pour moi ce que je voulais dire, pour leur exprimer plus tard, de vive voix lorsque ça irait mieux. On jouait sans cesse aux devinettes, mais pour que le jeu ne soit pas trop facile, interdiction de dessiner, parler, ou mimer. Ce n’était vraiment pas facile, et comme je suis un mauvais perdant j’ai souvent arrêté le jeu pour écouter mes partenaires… Bien plus reposant, facile et pas de risque de perdre.

 

Demande d’aide

Je ne sais pas si vous avez déjà remarqué que dans chaque chambre d’hôpital, il y a une petite télécommande avec un bouton rouge permettant d’appeler les aides soignant en cas de problème. En théorie si vous appuyez sur ce bouton d’urgence, une personne devrait intervenir dans les minutes qui suivent, en pratique, suivant les services et les hôpitaux ce n’est pas toujours respecté. En réanimation, par exemple, ils sont réactifs car le nombre de personnel par rapport aux patients est élevé. Le personnel sait que, dans ce service, les urgences font parties du quotidien, il est donc en permanence sur le pas de garde. Dans d’autres services c’est beaucoup plus aléatoire, vous pouvez parfois attendre des heures entières pour une réelle urgence. Bien sûr, dans les hôpitaux publics le manque d’effectif est la principale raison, néanmoins on constate souvent un manque d’intérêt, de motivation et de respect envers les patients. En « Réa » à Bayonne, j’ai eu beaucoup de chance, le personnel était irréprochable ( c’est du moins ce que j’ai pensé après coup). Le principal problème venait du fait qu’étant tétraplégique je ne pouvais absolument rien bouger, donc en cas de pépin c’était tout simplement impossible de prévenir le personnel avec le bouton d’urgence. Comme on dit: « pas de bras, pas de chocolat ». Encore une fois heureusement que d’autres personnes sont passées par là avant moi, et ont eu l’idée de créer une sonnette reliée à un bras articulé, que l’on actionne en tapant avec la tête. Astucieux et bien pratique.

 

Les premiers soins

Ce dont je me souviens lorsque j’étais en réanimation, ce sont les changements de pansements de type Sparadrap, vous savez ceux qui collent vraiment bien et qui arrachent les poils au moment de les retirer. Et bien figurez-vous, qu’ils me maintiennent les tuyaux d’intubation, et sont fixés entre la bouche et le nez, pile poil sur la moustache bien garnie du « hipster ou bon franchouillard ». J’ai dégusté chaque instant où ils ont retiré le Sparadrap avec passion et « délicatesse », pour ensuite nettoyer la partie collante avec un solvant, dont mes narines se souviennent encore. Si vous avez le nez bouché n’hésitez pas à me demander la marque!

J’ai découvert également mes premiers soins de nursing, mieux que d’être roi ou qu’un palace luxueux, là-bas 2 à 3 personnes pour me faire la toilette… au lit, deux gants de bain, deux serviettes, une pour le haut, une autre pour le bas (et les « parties intimes »), une bassine d’eau avec du savon, et en voiture Simone! Une technique de toilette découverte là-bas, pour une utilisation quotidienne aujourd’hui. Mais attention ne croyez pas que vous aurez les cheveux propres! Imaginez-vous, surtout ces demoiselles, devoir attendre parfois une ou plusieurs semaines, avant d’avoir votre première douche et vous sentir propre (enfin!). Heureusement qu’il existe la technique « du parachute » ou « morceau de viande » (tout dépend du point de vue). Pour ce faire, suspendez le patient à l’aide d’un lève-malade ( harnais qui soulève la personne avec une grue), si possible dénudé (sexy n’est ce pas?) pour éviter de mouiller les affaires et maintenez la tête en arrière, dans le vide et au-dessus d’une bassine ( quelques jours seulement après une opération des cervicales). Vous pouvez maintenant faire couler l’eau, et « shampouiner » votre patient pour un pur moment de détente! Préférez le shampoing Ushuaia saveur tropicale, pour vous transporter loin de ce cauchemar… mais, quoi qu’il arrive, il reviendra.

Comme mentionné précédemment, pour m’hydrater, tout arrive directement par perfusion, royal, je n’ai rien à faire! Malheureusement, (hé oui il y a toujours un « mais »), plusieurs jours sans boire et avec les apports nutritifs des poches, la bouche devient pâteuse avec un goût étrange et peu agréable. Pour faire simple j’avais soif! J’avais envie de boire quelque chose de sucré, de bon, et je rêver qu’une fois sortie de l’hôpital, je m’installerai en terrasse face à la mer, avec un grand coca, des glaçons et une rondelle de citron. Les infirmiers n’était pas tellement d’accord avec cette idée, dans le règlement il est interdit de faire boire un patient intubé, il risquerait de « faire une fausse route » et de s’étouffer. J’ai appris plus tard qu’un patient intubé est normalement endormi, alors que moi j’étais bien réveillé et avais vraiment soif. Ho! Les gars, sans déconner juste un petit peu d’eau, quelques gouttes ne vont pas me tuer ( j’ai vécu pire déjà)! Et puis il y a eu cette infirmière plus humaine ou plus rebelle que d’autres, qui a sorti des combres ses,  les a humidifiées et mises dans ma bouche. Waouu! Quel bonheur d’aspirer quelques millilitres d’eau seulement au travers d’une compresse, donnez m’en encore, s’il vous plaît! J’en repris quelques-unes, mais l’infirmière me limita car les risques étaint réels. Maintenant que j’y avais goûté, le plus dur était de motiver les autres infirmiers et aides soignants, pour qu’ils en fassent de même. J’en avais pourtant parlé au chirurgien qui m’avait opéré. Il avait donné  son accord pour que je boive, mais sans rien noter dans le dossier médical, car pour lui ce n’était qu’un détail… Sans l’approbation de celui ci, le personnel médical n’agit pas, et moi je reste au point mort. Avec les jours qui passaient et la certitude de pouvoir boire sans risque, certains membres du personnel acceptaient de fermer les yeux pour m’aider, mais ce n’était pas facile. Lorsque vous aviez convaincu une personne d’une équipe, le soir venu, avec le changement de personnel il fallait recommencer l’argumentaire, sans être sûr d’aboutir à ce que l’on souhaite. Il m’arrivait parfois de ne pas dormir jusqu’à tard dans la nuit pour attendre LE mec cool qui allait me faire boire.

 

Le cauchemar réalité

Avec tout ça, ces premiers jours de tétraplégie, ont été un calvaire tant sur le plan physique que mental. La prise de médicaments anti-douleurs, antidépresseurs…etc, me faisait halluciner et cauchemarder. En epellant les mots un à un, j’ai passé pratiquement 2h à expliquer à mes proches qu’il y avait eu un meurtre dans la chambre d’à côté et qu’on allait me faire du mal pour avoir tout raconté. J’ai crû ensuite que l’on s’en prenait à mes proches et que j’étais soigné dans un hôpital qui pratiquait le trafic d’organes avec la Roumanie. Pendant 5 à 6 jours, j’ai vécu dans un autre monde où je créais un univers parallèle avec ce qu’il se passait réellement autour de moi. De nombreux événements et indices portaient à croire pourtant qu’on était dans la vie réelle. J’angoissais constamment et m’imaginais le pire. Tout s’est arrêté lorsque la réalité ne coïncidait plus avec mon univers imaginaire, je me suis senti tout déboussolé, troublé et ai préféré vivre là où mes proches étaient vivants, et la « vie plus belle »… Je garde tout de même des « séquelles » (imaginaires) au sujet du personnel de l’hôpital, qui me voulait du mal, complotait contre moi et je voulais m’enfuir de là-bas le plus vite possible!

 

Transfert à Nice

Malgré ces deux semaines passées en réanimation à Bayonne, qui m’ont paru être une éternité, je n’étais pas au bout de mes peines. Au contraire, ce n’était que le début d’une toute nouvelle vie, bien plus contraignante et compliquée que la précédente. Pour rendre cela moins difficile moralement, physiquement et même financièrement, nous avons  décidé avec ma famille de me rappatrier dans le sud-est. Cette solution permettait d’avoir la visite plus régulière de mes proches et amis et surtout garder le moral, l’élément indispensable pour continuer d’avancer! Pour ce faire, il a d’abord fallut choisir un moyen de locomotion: soit l’ambulance avec huit à dix heures de route, plus le risque d’endommager la moelle épinière déjà fortement sollicitée par l’opération deux semaines plus tôt. Soit prendre l’avion, de type vol commercial avec des passagers lambdas et un espace aménagé spécialement pour le personnel médical et moi. Finalement ce fut ni l’un ni l’autre, la compagnie qui s’occupe des rapatriements d’urgence et des transferts de patients « lourds » préféra opter pour un jet privé de type Falcon. Un second voyage aérien, le premier étant le vol en hélicoptère de la plage où j’ai eu l’accident jusqu’à l’hôpital de Bayonne, où je n’ai pas eu l’occasion de profiter de cette attraction. Le jour du départ, je n’avais pas vu la lumière extérieure depuis plus de deux semaines. Quel plaisir de sentir l’air frais et de voir l’hôpital dans lequel j’ai été opéré ( bien plus grand que l’hôpital imaginaire dans lequel ils faisaient du trafic d’organes). Un petit tour d’ambulance jusque qu’à  l’aéroport de Biarritz puis le vol, direction Cannes, dans un brancard coquille, accompagné de mon équipage de choc, composé d’un médecin, un infirmier et le pilote. Une fois arrivé au sol, une ambulance nous attendait déjà, il faisait un temps magnifique, un grand ciel bleu, et une température qui ne donnait pas du tout envie de rentrer, une fois de plus dans un nouvel hôpital pour y passer des semaines entières.